Un arrêt majeur de la CJUE sur la prescription des créances européennes
Le 10 avril 2025, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt majeur concernant le délai de prescription des créances des financements européens [1].
L’affaire portait sur la récupération de financements européens attribués à un centre de recherche français, le Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA), situé en Bretagne. La responsabilité initiale incombait à son ancien directeur qui avait été reconnu coupable de détournement de fonds publics. En raison des irrégularités constatées, la Commission européenne a exigé le remboursement des financements attribués, en emettant des notes de débit en 2009.
Les questions juridiques soulevées
Deux questions principales étaient en cause :
- À partir de quand le délai de prescription de la créance de l’Union commence-t-il à courir ?
- Ce délai a-t-il été interrompu par certains actes, notamment la déclaration de créance dans la procédure de sauvegarde ouverte en France ?
En filigrane, se posaient également des questions de droit international privé, liées au droit applicable, au règlement européen sur les procédures d’insolvabilité [2] et au statut des créances de l’Union européenne dans les procédures de faillite.
A. Sur le délai de prescription des créances de l’UE et son point de départ
Dans cet arrêt du 10 avril 2025, la Cour a rappelé que le contrat est régi par le droit belge.
Conformément à l’article 2262 bis du Code civil belge, « toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans », contrairement au droit de l’Union qui fixe le délai de prescription à cinq ans à compter de l’exigibilité de la créance.
Le tribunal de première instance avait relevé que la créance de l’Union était exigible à la date d’émission des notes de débit en 2009, et non à la date de fin de contrat en 2004.
En pourvoi, la Cour a confirmé que le délai de 10 ans court à compter de 2009, ce qui conduit à une expiration au 14 mars 2019, conformément au droit belge.
Cet arrêt retient ainsi que, pour les créances de l’Union européenne, au titre de remboursement de subventions, le point de départ du délai de prescription peut être la date de notification des notes de débit, dès lors qu’elles rendent la créance exigible.
Cette interprétation est controversée : en droit de l’Union, la créance est en principe exigible à la fin du contrat [3], et non à la notification des notes de débit.
La solution retenue par la Cour soulève donc des critiques doctrinales.
B. Sur l’interruption du délai de prescription
La Cour s’est également prononcée sur l’effet interruptif d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre.
La Cour a confirmé que la déclaration de créance faite par la Commission européenne en 2016 dans le cadre de la procédure de sauvegarde ouverte en France constitue un acte interruptif de la prescription en droit belge.
Cette interprétation repose sur l’article L. 622-25 I du Code de commerce français, qui prévoit que la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu’à la clôture de la procédure.
Le règlement (CE) n° 1346/2000 sur les procédures d’insolvabilité s’applique directement dans tous les États membres [4]. Selon ses articles 16 et 17, la décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans un État membre produit ses effets dans tous les autres États membres, sans formalité supplémentaire.
En conséquence, la France ayant ouvert la procédure à l’encontre du CEVA, la déclaration de créance de la Commission a produit un effet interruptif en droit belge.
Ainsi, la Cour a confirmé le raisonnement du Tribunal, selon lequel la prescription n’était pas acquise à la date où la Commission a exercé son action en recouvrement.
Cet arrêt établit que la déclaration de créance de l’Union dans une procédure d’insolvabilité nationale interrompt la prescription, même si le contrat relève d’un autre droit national.. Si la sécurité juridique de la créance de l’Union est renforcée dans les mécanismes transnationaux d’insolvabilité, les bénéficiaires de financements européens risquent de pâtir d’une confusion des procédures nationales.
C. Sur les effets de la créance sur le centre de recherche
L’acquittement du CEVA par les juridictions pénales françaises n’empêche pas la créance de l’Union, fondée sur l’existence d’irrégularités financières graves, d’être recouvrée. Cette créance est indépendante de toute qualification pénale.
L’affaire illustre parfaitement l’articulation entre droit de l’Union, et en particulier le règlement européen sur l’insolvabilité, et les droits nationaux en matière de prescription et de procédures collectives. Les créances de l’Union s’intègrent pleinement dans le dispositif d’insolvabilité transfrontalier.
Conclusion
L’arrêt CEVA / Commission (C-686/23 P) constitue, pour les praticiens du droit des financements européens, une référence majeure en matière de prescription et de recouvrement des créances de l’Union européenne.
Cette décision précise que, dans le domaine des subventions européennes, tout acte notifié par l’Union, telle la notification de notes de débit, ou tout acte interruptif, comme la déclaration de créance dans une procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre, interrompt le cours du délai de prescription applicable à la créance de l’Union.
Elle met ainsi en garde contre le risque de sous-estimation du délai de prescription lorsque des mécanismes interruptifs transnationaux sont susceptibles de s’appliquer.
En renforçant la sécurité juridique des créances de l’Union, cet arrêt invite néanmoins les bénéficiaires de financements européens à une vigilance accrue dans le suivi des délais et la prise en compte de la diversité des procédures nationales.
[1] CJUE, 3 avril 2025, Centre d’étude et de valorisation des algues SA (CEVA) c. Commission européenne, aff. C-686/23 P.
[2] Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160 du 30.6.2000, p. 1).
[3] Article 105 du Règlement (UE, Euratom) 2024/2509 du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2024 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (JO L, 2024/2509, 26.9.2024).
[4] Article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
