Réforme du CRFPA : Les adieux du contentieux européen

Réforme du CRFPA: les adieux du contentieux européen

November 2, 2016

Maitre Aurélien Raccah et Leïla Belloulou

Annoncée depuis plusieurs années, officialisée par le Garde des Sceaux le 7 juillet 2016, la réforme des examens du Centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) a enfin été publiée par arrêté le 17 octobre 2016[1].  Appelé à devenir l’une des six grandes spécialités au même titre que les droits civil, des affaires, social, pénal et administratif, le droit international et européen n’est que partiellement valorisé. Ainsi, son contentieux disparaît totalement du paysage CRFPA.

Des changements et objectifs ambitieux étaient initialement attachés à cette réforme[2] : dates d’examen uniques, sujets et grilles de correction uniques et matières réduites, renforcées et spécialisées, à savoir trois épreuves écrites d’admissibilité (note de synthèse, cas pratique dans une des 6 matières fondamentales et épreuve  de  procédure connexe) et deux épreuves orales (« grand oral » et une langue)[3].

Erreur d’interprétation sûrement, les professionnels, universitaires et étudiants du droit international et européen ont pu penser pendant l’été qu’à la matière de « droit international et européen » serait attachée une épreuve de « contentieux international et européen »…

Le 17 octobre 2016, les nouvelles modalités d’examen en ont surpris plus d’un. Les étudiants « ne savaient pas à quelle sauce ils allaient être mangés », dixit Mikaël Benillouche, s’étonnant une semaine auparavant que le droit des obligations réapparaisse au programme du CRFPA, alors même qu’un consensus s’était dégagé pour son retrait[4].  Nous rejoignons son analyse en l’appliquant au contentieux international et européen. L’effet d’annonce a créé des attentes légitimes. En comparant le communiqué de juillet à l’arrêté d’octobre, peu d’éléments annoncés sont respectés.

 

1. La disparition non annoncée du contentieux européen

La disparition de l’oral de « procédure communautaire et européenne » permet indubitablement d’alléger les épreuves d’admissibilité. Cette épreuve, au choix avec les « procédures civiles d’exécution », avait le mérite de transmettre quelques connaissances de droit européen aux candidats, mais elle n’était pas indispensable. Orienter la deuxième phase du CRFPA vers l’emblématique « Grand Oral » devrait ainsi renforcer la culture générale et juridique des étudiants en droit.

Pour autant, nous nous étonnons que ce contentieux européen disparaisse intégralement. Le communiqué du 8 juillet 2016 annonçait ainsi que « les épreuves écrites d’admissibilité comporteront une note de synthèse, un cas pratique dans l’une des matières juridiques fondamentales, et une  épreuve  de  procédure  correspondant  à  la matière choisie pour le cas pratique ».

Etant données la création des six spécialités et la disparition de l’oral de « procédure communautaire et européenne », une certaine interprétation laissait présager l’insertion d’un « contentieux international et européen » parmi les matières de procédure à l’écrit. En vain.

L’arrêté du 17 octobre 2016 prévoit désormais que les « candidats ayant choisi la matière droit international et européen » devront choisir une matière de procédure entre « procédure civile et modes alternatifs de règlement des différends ou procédure administrative contentieuse ».  En d’autres termes, un étudiant spécialisé en droit international ou en droit européen, ou plutôt en droit international et européen devra aussi être « civiliste » ou « administrativiste ».

Première remarque : le contentieux international et européen disparaît alors que les masters dans cette spécialité accueillent un nombre croissant d’étudiants et que la pratique requière plus d’experts dans ce secteur. L’intégration de la France à l’UE requière un élargissement des connaissances s’y rapportant. Cette disparition risque de dérouter les étudiants vers des masters préparant de manière homogène le CRFPA.

Deuxième remarque : la procédure pénale disparaît du choix préexistant, alors que le droit pénal international et européen est en pleine expansion (juridictions internationales, droit international pénal des affaires, Espace de liberté, sécurité justice…).

Si les procédures nationales demeurent le socle indispensable de l’accès à la justice, il serait plus adapté aux spécialités d’insérer une épreuve de contentieux international et européen, éventuellement dans le cadre des procédures nationales.

En l’état, les étudiants optant pour la spécialité « droit international et européen » doivent non seulement réviser le « droit des obligations », mais également une procédure en dehors de leur champ de spécialité. En d’autres termes, cet arrêté ne constitue pas une réforme pour les étudiants spécialisé en droit international ou européen, cet ordonnancement correspondant aux matières préexistantes[5] !

2. Le droit international et européen à rude épreuve

Jusqu’à la session de 2016, sur le fondement de l’arrêté de 2003, les étudiants de la spécialité ont pu choisir entre le « droit international privé » et « droit communautaire et européen ».

A partir de 2017, la nouvelle épreuve de « droit international et européen » embrassera le droit international privé, le droit international public, le droit du commerce international et le droit européen. L’apparition de ce « pôle » de compétences doit être bien accueillie par la profession puisqu’il renforce la présence d’une spécialité jusqu’à présent minorée.

Cependant, ces domaines sont extrêmement vastes et leurs contenus respectifs ne sont pas détaillés. Les quatre sous-spécialités couvrent au moins le droit international privé (règles de compétences, conflits de juridictions et conflits de lois, droit des sociétés, droit de la concurrence…), le droit international public, le droit du Conseil de l’Europe et le droit de l’Union européenne. Par conséquent, cette réforme alourdit fortement l’étendue des matières à réviser.

Enfin, pour trouver un point positif, l’on ne peut que saluer l’intégration des aspects de droit international et européen dans les spécialités du « droit pénal » et du « droit social », ce qui répond partiellement à nos inquiétudes précédentes. Quid néanmoins de son extension au droit civil, au droit des affaires et au droit administratif ? Ces domaines ne nous semblent pas plus épargnés par les éléments d’extranéité.

 

3. A bas le multilinguisme, vive l’anglais !

Dans notre rôle de pourfendeurs d’une ouverture européenne et internationale, nous déplorons enfin la disparition programmée de toutes les langues étrangères autres que l’anglais à partir de 2020.

Les articles 7 et 12 de l’arrêté prévoient qu’après la session de l’an 2020, seule la langue anglaise sera proposée à l’oral. L’allemand, l’arabe classique, le chinois, l’espagnol, l’hébreu, l’italien, le japonais, le portugais et le russe pourront être choisis pendant trois ans seulement.

Il semble, là encore, que l’ouverture culturelle ne soit plus à son apogée. Le multilinguisme constitue pourtant un objectif commun à l’UE. De surcroît, nombreuses formations de droit prévoient des cursus bilingues en vue de rapprocher les pratiques interétatiques. Bien que l’anglais soit incontournable, l’apprentissage des langues et des cultures de nos voisins est un garde-fou de notre coopération juridique et judiciaire.

Pour conclure, cette réforme nous paraît inachevée, alors qu’elle s’annonçait ambitieuse. Nous plaidons pour plus d’ouverture et une intégration d’une épreuve de contentieux international et européen pour les étudiants optant pour le droit international et européen.

[1] Arrêté du 17 octobre 2016 fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au CRFPA, JORF n°0243 du 18 octobre 2016 texte n° 6. Cf. également le décret n° 2016-1389 du 17 octobre 2016 modifiant les conditions d’accès aux centres régionaux de formation professionnelle d’avocats, JORF n°0243 du 18 octobre 2016, texte n° 4.

[2] Jean-Jacques URVOAS et de Thierry MANDON, Création d’un examen national d’entrée aux écoles d’avocats, communiqué de presse, Ministère de la Justice, 8 juillet 2016.

[3] Anne PORTMANN, Le premier examen national d’accès au CRFPA aura lieu le 1er septembre 2017, Dalloz actualité, 19 octobre 2016 ;

[4] Mikaël BENILLOUCHE, Vers un retour en grâce du droit des obligations à l’examen d’entrée du CRFPA ?, LegalVox.fr, 10 octobre 2016.

[5]  Arrêté du 11 septembre 2003 fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats.

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